Avec Markus C. Kerber, Valérie Hayer, Fredrik Persson, Fabrice Le Saché et animé par David Barroux.
Verbatim
Fabrice Le Saché : "L'Europe est une priorité du mandat de Patrick Martin."
"L'Europe est un système de valeurs, démocratie, Etat de droit, libre circulation des hommes et des capitaux... tout cela est fondamental pour les entreprises."
"Le marché unique est le bien le plus précieux que l'on ait."
"Ce qui se joue à l'échelle européenne, c'est notre rapport au monde."
"Si la réglementation européenne va dans le bon sens, c'est porteur pour nos entreprises."
"L'Europe, ce n'est pas la France en plus grand, il y a des différences, donc tout un travail de conviction à faire. Cette diversité est une force, il faut la cultiver et la défendre."
Valérie Hayer : "Nous sommes à un moment de bascule et, si on ne prend pas les bonnes décisions, on risque un décrochage."
"Les autres ne nous attendent pas !"
"On a beaucoup réguler, fait beaucoup de législation, maintenant c'est le temps de l'investissement."
"Dans les six mois, un an, il faut savoir prendre les bonnes décisions et ne pas attendre d'être au pied du mur."
"Nous devons être moins naïfs dans le jeu commercial."
Markus C. Kerber : "Depuis Maastricht, les pouvoirs de Bruxelles ont été considérablement renforcés, mais cela n'a pas empêché l'Europe a être en perte de vitesse par rapport à d'autres."
"Il n'y a pas d'économie européenne, mais des économies nationales et la qualité de ces économies dépend des gouvernements nationaux."
"J'espère sincèrement que Madame Van des Leyen ne finira pas son mandat ! Le grand emprunt européen est un projet totalement anti-démocratique."
Fredrik Persson : "Il y a de nombreuses grandes compagnies qui tirent bénéfice du marché unique."
"Le Medef à Bruxelles et Strasbourg est le phare de la compétitivité."
"En Europe, nos industries ne bénéficient pas des meilleures conditions pour se développer, nous avons un problème."
Fabrice Le Scahé : "Les Chinois sont devons nous en termes de dépôt de brevets !"
"300 milliards de notre épargne file vers les Etats-Unis !"
"Entre 2017 et 2022, on a plus de 5000 pages de textes qui pèsent sur nos entreprises, l'Europe croule sous la législation."
Valérie Hayer : "Le plan de relance a été validé par 27 chefs d'Etat et de gouvernement, on ne peut pas faire plus démocratique. L'Europe, c'est la démocratie et le plan de relance était nécessaire."
"Je suis favorable à un nouveau plan de relance."
"Nous devons libérer de l'argent public, car le budget européen est aujourd'hui rikiki."
"Simplification, simplification, simplification... cela fait partie des priorités du prochain mandat."
"Et nous devons aussi assumer la préférence européenne et être plus offensifs sur les règles du jeu commerciales."
Markus C. Kerber : "L'UE doit rester limiter à ses compétences, celles qui sont inscrites dans le traité."
"L'idée de décarboner totalement l'industrie européenne fait sourire la Chine et l'Inde."
"Le remboursement de l'emprunt devrait être effectué par des ressources propres que l'Europe n'a pas."
Fredrik Persson : "Maintenant, tout le monde parle de compétitivité à Bruxelles."
"L'Europe est "a great place to be"."
"Nous avons besoin d'une autonomie stratégique ouverte."
"Le green deal doit être lié à une stratégie industrielle."
"Il faut renouer avec la croissance."
"Nous avons été un peu naïfs et nous devons retrouver un bon équilibre entre protection et croissance."
Valérie Hayer : "On a besoin de développer le commerce international, c'est une évidence. Mais on a des partenaires qui ne respectent pas les règles du jeu, les Américains et les Chinois."
"On ne doit pas être les dindons de la farce du jeu mondial, nous devons être lucides, mais nous avons besoin de renforcer nos partenariats commerciaux."
Markus C. Kerber : "La Chine ne respecte pas le jeu, c'est évident, mais ce n'est pas à Madame Van der Leyen d'inventer un plan de riposte. Une politique de riposte adaptée mérite une prise en considération des intérêts nationaux."
Fabrice Le Saché : "Tout part de la réalité des entreprises ! Le pacte vert, on ne l'a pas forcément choisi, mais des entreprises ont investi des milliards d'euros. On ne va pas leur dire, on ne va pas revenir en arrière."
Pour aller plus loin
Poursuite de la guerre en Ukraine, Inflation, perte de parts de marché, instabilité politique dans plusieurs pays, décrochage vis-à-vis des Etats-Unis… Comment se porte l’économie européenne ? Le pire est-il derrière nous, et quelles sont les prévisions pour 2024-2025 ?
L’économie européenne reprend-t-elle enfin des couleurs ?
2023 a été plutôt morose pour l’économie de l’UE, sur fond de stagnation et de poussée inflationniste. Il semblerait que le pire soit désormais passé et la Commission table sur une croissance de 0,8 % en 2024 en zone euro (1 % pour l’ensemble de l’Europe), assortie d’une inflation à 2,5 %, plus faible que prévue.
Selon Eurostat, au premier trimestre de 2024, le PIB a augmenté de 0,3 % dans l’UE, ce qui marque « la fin d’une période prolongée de stagnation économique commencée au dernier trimestre 2022 ». Pour la Commission, cette amélioration est entrainée dans une large mesure par l’expansion de la consommation privée et la poursuite de la croissance des salaires et de l’emploi.
La Commission s’attend aussi à un rebond des échanges et à la poursuite de la désinflation sur les biens hors énergie et sur les produits alimentaires. Autres signes encourageants, la création de plus de deux millions d’emplois en 2023 et un taux d’emploi record des personnes âgées de 20 à 64 ans, même si « de nombreux marchés du travail dans l’UE restent tendus ».
En revanche, Bruxelles est plus réservé sur les investissements, qui semblent en perte de vitesse, et mise sur la future baisse des taux directeurs de la BCE pour les relancer. Bruxelles s’inquiète également du contexte géopolitique en Europe, mais aussi au Moyen-Orient et aux Etats-Unis. « Nos prévisions restent très incertaines alors que deux guerres continuent de faire rage non loin de chez nous. Les risques de dégradation se sont accrus », prévient le commissaire européen à l’Economie, Paolo Gentiloni. Autre source d’inquiétude selon Kenneth Rogoff, ancien économiste en chef du FMI, le décrochage de l’Allemagne, première économie du continent. « Les performances de l’économie allemande sont dramatiquement mauvaises », est même allé jusqu’à déclarer le ministre de l’Économie du pays, Robert Habeck.
Un écart qui se creuse avec les Etats-Unis
Si l’économie européenne va un peu mieux, elle ne cesse de décrocher par rapport aux Etats-Unis, qui semblent prendre le large face à la zone euro. Après quelques turbulences, l’activité outre-Atlantique a rebondi avec une vigueur impressionnante et, en 2023, le PIB des USA a progressé de 2,5 % contre seulement 0,5 % pour la zone euro. L’écart de richesses entre les deux blocs ne cesse de se creuser. Pour le Wall Street Journal, cela s’explique notamment par le fait que l’Europe a « une population vieillissante, qui préfère le temps libre et la sécurité de l’emploi aux revenus ». Mais cela s’explique aussi par les aides massives accordées par la Maison Blanche pour soutenir l’économie américaine, alors que l’Europe, contrainte de respecter une certaine rigueur budgétaire, ne dispose pas des mêmes marges de manœuvre. Qui plus est, l’Europe est beaucoup plus exposée à la crise énergétique que les États-Unis. Le comportement des consommateurs explique aussi ce décrochage. « Le consommateur américain consomme, quand le consommateur européen épargne », souligne Philippe Crevel, spécialiste des questions macroéconomiques. S’ajoutent à tout cela une démographie plus dynamique outre-Atlantique, donc une augmentation de la population active, un marché du travail plus flexible et un écart de productivité inquiétant qui, selon Eric Chaney de l’Institut Montaigne, « pourrait encore s’aggraver avec le développement de l’intelligence artificielle qui commence à se diffuser dans l’économie américaine ». Si rien n’est fait, renchérit Patrick Artus, « d’ici 2050, il y aura un effondrement du poids de l’Europe dans l’économie mondiale ». Il est donc temps de réagir et de mettre en œuvre les changements qui permettront de booster notre économie.
Redonner de la force à l’Europe
L’Europe dispose de très nombreux atouts, qu’il convient de ne pas oublier. En dépit d’un certain déclin, elle reste un acteur économique majeur avec 15,2 % du PIB mondial, derrière la Chine (18,9 %) et les États-Unis (15,5 %). L’Europe est aussi un des principaux exportateurs de marchandises et de services commerciaux et un partenaire fiable pour les échanges. Une autre force de l’Europe est la puissance de son marché intérieur, fort de près de 450 millions d’habitants, dont la grande majorité bénéficie d’une monnaie unique, ce qui en fait le plus grand marché développé au monde. Le potentiel européen est donc remarquable, mais encore faut-il parvenir à le mobiliser. Pour cela, des politiques d’investissements sont nécessaires. Plus grande zone de stabilité démocratique dans le monde, l’Europe doit encore se considérer comme une puissance et « se doter d’un véritable gouvernement économique et d’un budget digne de ce nom. Limité à 1 % du PIB, le budget européen reste beaucoup trop faible et ne permet pas de lancer les nouvelles politiques, attendues par les citoyens ». C’est d’autant plus crucial que la population de l’Europe vieillit et diminue. Elle ne représente plus que 6 % de la population mondiale, contre plus de 50 % pour les pays asiatiques. Pour éviter le décrochage, Patrick Artus considère également que l’Europe doit « réaliser un véritable marché intérieur des capitaux et une union de l’épargne ». Mais surtout, l’Europe doit avancer dans sa construction politique pour s’exprimer d’une seule voix, car « l’Europe sera unie ou ne sera plus ».
Faut-il aller vers une économie de guerre ?
La guerre en Ukraine a fait prendre conscience à l’Europe de sa faiblesse en termes de défense et de production d’armement. Les faits sont là, depuis le début de la guerre, 75 % des armes et munitions achetées par les Etats membres l’ont été en dehors du continent européen, dont un peu plus des deux tiers à des entreprises américaines. Faut-il pour autant aller vers une économie de guerre, comme le suggèrent le commissaire européen Thierry Breton et le chancelier allemand Olaf Scholz ? Pour ce dernier, « nous ne vivons plus en temps de paix et pour réussir à dissuader les éventuels agresseurs, il faut une coopération industrielle plus étroite entre les Vingt-Sept ». Les usines d’armement européennes ont beau tourner à plein régime, elles n’arrivent pas à augmenter suffisamment les cadences de production pour satisfaire les besoins. Volodymyr Zelensky, le président ukrainien, affirmait même récemment que sur le million d’obus promis par l’Europe il y a un an, 30 % seulement auraient été livrés.
Une économie de guerre implique la réorientation des structures économiques pour donner la priorité aux besoins militaires plutôt qu’à la consommation civile. Cela nécessite un contrôle gouvernemental accru sur les industries et une réaffectation des ressources. La Commission avance sur ce terrain, mais les embûches sont nombreuses. Les aspects négatifs d’une transition potentielle vers une économie de guerre sont immédiatement compréhensibles, car cela entraînerait une réduction des services publics, une hausse des prix et une augmentation des impôts. Ce que les citoyens européens n’apprécieraient pas. Aussi, si le secteur européen de la défense est voué à se développer, une transition complète vers une économie de guerre est-elle pour autant nécessaire ? Le débat reste ouvert.
Alors, où va vraiment l’économie européenne ? Notre vieux continent saura-t-il se donner les moyens de vraiment relancer sa croissance et de résorber le fossé avec les Etats-Unis, pour retrouver toute sa place sur l’échiquier économique mondial ?